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Chapitre III – Sportive de haut niveau

 

 

Qu’est-ce qui fait qu’on devient une sportive de haut niveau à un moment ?

Je dirais que c’est au moment où j’ai fait le choix de partir au Pôle à Talence en 2010 et de m’inscrire dans un projet sportif bien défini, avec un objectif de médailles européennes et mondiales en senior. C’est là-bas que j’ai compris ce qu’étaient les attendus d’un SHN (sportif de haut niveau), le quotidien qu’il fallait mettre en place pour atteindre ses objectifs. Même s’il m’a fallu quelques années pour m’adapter, pour trouver le bon équilibre avec mon projet professionnel ; je me suis peu à peu tournée vers le très haut niveau. Je pense que l’on devient SHN au moment où l’on se donne réellement tous les moyens pour arriver à ses objectifs, lorsque l’on se lève dans un but bien défini, et que d’une certaine manière on s’inflige une charge de travail physique et mentale au-delà de la « normale ». Pour arriver au plus haut niveau, il faut à un moment donné mettre sa vie entre parenthèse, être « autocentré » et se donner tous les moyens pour y arriver. Ce qui implique d’avoir une vie différente des autres, un quotidien normé et répétitif ; ne pas vivre la même vie que les gens de notre âge et ne pas toujours être compris… Mais qui doit l’être dans une certaine mesure. Ne pas s’infliger cela trop tôt, savoir être raisonnable et garder les pieds sur terre : ça reste du sport, dans lequel on doit trouver un équilibre, du plaisir et du bien-être.

 

Qu’est-ce qui te motivait le plus personnellement ?

Ce qui me motivait c’était mon rêve d’enfant, être championne du monde. J’ai beaucoup été, à tort ou à raison, obnubilée par les résultats à partir du moment où je suis entrée dans ce projet sportif. Atteindre mes objectifs, c’était un moyen d’être fière de moi. Étant de nature peu confiante, je pense que j’en avais besoin d’une certaine manière. Ce que j’aimais aussi, c’est la recherche de la perfection. Essayer de toujours s’améliorer, gagner quelques dixièmes, avoir des sensations de vitesse, de prise de care, de glisse, acquérir de nouveau gestes techniques… Toutes ces petites choses qui font que l’on est de plus en plus pointilleux, de plus en plus en recherche de performance dans les moindres détails. Et puis, la motivation, c’était aussi et surtout les championnats du monde. L’ambiance d’un championnat est quelque chose qui est motivant, dans le sens où il y a, même après toutes ces années, de l’excitation, du stress, de l’adrénaline, de la joie et de la fierté d’y participer… Mais c’est aussi en quelque sorte « l’examen final », l’enjeu majeur pour lequel je m’étais préparée durant des années entières.

 

 

Est-ce que c’est plus « dur » quand on est une femme ?

Le sport féminin est moins bien considéré que le sport masculin… Même si cela tend à changer un peu, les écarts sont encore énormes. Il y a le manque de considération, dans le sens où les performances sont considérées comme moins bonnes que celle des hommes. Ce qui induit souvent moins de moyens alloués pour les femmes, moins de sponsor, des salaires plus faibles, des primes ou distances inégales, mais aussi moins de médiatisation. Mais il y a aussi d’autres problématiques de fond, les filles et les garçons ont des différences physiologiques et psychologiques. Les filles ont généralement un besoin de vision sur le long terme et engagent souvent un double projet scolaire/professionnel et sportif assez rapidement, ou privilégient les études au sport plus facilement que les garçons. Ce qui peut être un premier frein (et qui est intimement lié à la place du sport féminin). La psychologie féminine est différente de celle des hommes, et est à prendre en compte dans la performance. L’aspect physiologique est aussi encore un frein, parce que méconnu, non compris, ou en tout cas mal pris en considération par les entraîneurs, qui sont souvent des hommes. Bref, si l’on conjugue tout cela, on comprend vite l’impact que ça peut avoir sur les performances et les moyens pour réussir dans le sport de haut niveau en étant une femme. Au niveau du roller, notamment au sein de l’équipe de France en senior, il y a eu une gestion différenciée entre filles et garçons, ce qui a contribué à creuser les écarts. Je pense que l’accent a été mis sur les résultats déjà présents des garçons. Il y a eu moins de confiance envers les femmes, moins d’intérêt… De mon côté, j’ai aussi eu une volonté de montrer que les filles existaient et qu’elles avaient toute leur place, qu’elles savent s’entraîner autant que les garçons, et qu’elles peuvent faire des résultats. Avec souvent un projet pro en parallèle.

 

 

 

On voit souvent les bons aspects d’être une sportive de haut niveau, les sélections, les voyages, le fait de porter les couleurs de l’équipe de France. Est-ce que c’est une fierté ?

Oui c’est sûr. Représenter son pays est quelque chose de fort. Entendre la Marseillaise, porter les couleurs bleu-blanc-rouge, c’est quelque chose qui donne des frissons et qui rend fière. Les cérémonies auxquelles j’ai participé lors des World Games notamment étaient magiques, ce sont des moments gravés dans ma mémoire. Pouvoir voyager à travers le monde grâce à son sport est aussi quelque chose d’important, même si l’enjeu est le même au bout du compte, on est toujours heureux de découvrir un nouveau pays, une nouvelle culture. Représenter mon pays prend beaucoup de sens à mes yeux : on est réuni autour d’un même objectif, sous un même drapeau, c’est une immense fierté.

 

 

 

 

 

A contrario, il y a aussi les aspects cachés, les doutes, les sacrifices… Est-ce que tu peux nous en parler ?

Une carrière est jonchée de hauts et de bas, de réussites et d’échecs, de moments de fierté et de moments de doutes, voire de désillusions. C’est une vraie expérience de vie, qui se passe en quelques années seulement. J’ai toujours douté de moi, remis en question mes capacités, mes performances, je n’étais jamais satisfaite, ni confiante. Et ça m’a souvent pénalisée. Mais faire face aux doutes, aux échecs et trouver les moyens de les surmonter, c’est quelque chose d’enrichissant, et c’est un travail sur soi, que l’on fait tout au long de sa carrière. On se découvre, on redécouvre des capacités que l’on n’avait pas exploitées, on cherche, on avance, pour aller le plus loin possible ; c’est une vraie école de la vie. Mais le sport de haut niveau implique également beaucoup de sacrifices et de rigueur. Pour ma part, j’ai dû conjuguer tout au long de ma carrière à la fois les études, le travail et les entraînements. J’ai pu obtenir sur mes dernières années un poste INSEP me permettant d’être un peu plus libre dans mon emploi du temps. Mais il a fallu beaucoup de travail pour en arriver là : Bac+5 en gestion du territoire et développement durable, CDD puis concours d’État de catégorie A… Je voulais assurer mon projet pro en parallèle de mon projet sportif. A la fois parce que l’on sait que cela peut s’arrêter du jour au lendemain, mais aussi parce que ça s’arrête un jour et je voulais, à ce moment-là, avoir un boulot qui me plaise et que j’ai choisi. Ce qui est dur, c’est qu’il y a peu de repos, peu de temps où l’on ne pense pas à l’entraînement ou au travail. Il y a peu ou pas de temps pour les loisirs ou les vacances… C’est fatiguant au fur et à mesure des années. A de nombreuses reprises, je me suis dit que si j’avais mis entre parenthèses mes études ou mon boulot, j’aurai pu être encore plus forte… Mais je ne regrette pas mes choix. J’ai eu une belle carrière, de beaux résultats et un métier que j’ai choisi. Donc je pense que finalement, je peux être satisfaite de tout ce que j’ai mis en place pour en arriver là.

 

 

Ta carrière t’a menée jusqu’à des sommets personnels et collectifs. Tu peux nous en parler ?

J’ai eu de beaux résultats, en championnats de France et d’Europe. Mais ma vraie consécration a été ma première médaille mondiale à Kaoshiung (Taiwan) en 2015 [NDLR une médaille d’argent lors de la course à points/élimination sur route du championnat du monde courue sous des trombes d’eau]. C’était incroyable, un moment unique. En fait, j’étais sur un nuage, dans la « zone » comme on l’appelle… J’étais dans une autre dimension et rien ne pouvait m’atteindre. C’est la première fois que j’ai décroché mon cerveau en course …. Je n’ai jamais été dans cet état auparavant. J’ai oublié l’objectif et je suis restée focus sur l’effort en lui-même C’était vraiment un moment incroyable car je savais ce que j’étais en train de faire… Et en même temps, je n’y pensais pas. Cette médaille a été pour moi un moment magique, comme jamais je n’en ai vécu, un aboutissement de beaucoup d’années de travail, de sacrifices et de doutes. Lorsque je suis montée sur le podium, j’étais extrêmement émue, à la fois fière et heureuse d’accomplir quelque chose qui me paraissait jusque-là impensable ; et surtout cette sensation du devoir accompli. Pour ma deuxième médaille mondiale individuelle [NDLR le marathon du championnat du monde 2016 à Nankin, où Clémence remporte le bronze], c’était un peu la même chose. A 500m, j’ai mis mon cerveau de côté et j’ai sprinté, sans me poser une seule question… Et j’ai tenu tête face à des filles que je n’avais pas souvent battues auparavant. Je crois que c’est ce qui m’a souvent manqué en course, débrancher le cerveau ! A Barcelone [NDLR le relais sur piste lors des Roller World Games de Barcelone en 2019 où l’équipe de France remporte le bronze], pour finir ma carrière, nous avons décroché une belle médaille de bronze. C’était vraiment un beau moment, car après une série très compliquée pour moi, que j’ai plutôt subie; j’ai pu être actrice en finale et j’ai pris beaucoup de plaisir. Et, avec Marine Lefeuvre et Mathilde Pedronno, nous étions toutes les trois déterminées à aller chercher cette médaille : la partager est d’autant plus sympathique.

 

 

La médaille d’argent de Clémence à Kaohsiung en 2015

 

 

La finale du relais sur piste au Roller World Games de Barcelone 2019

 

 

Ce qui est assez exceptionnel dans ta carrière, c’est que tu as brillé sur pratiquement toutes les distances…

C’est vrai que j’ai toujours été plutôt polyvalente, j’ai toujours aimé à la fois le sprint et le fond… Et puis pour gagner des courses de fond, il faut aller vite. Et pour tenir un tournoi de 500m ou 1000m, il faut être résistante. Donc finalement, c’est plutôt complémentaire ! Dans mes années minimes/cadettes, j’étais polyvalente, mais plutôt fondeuse. Lorsque je suis arrivée au Pôle en 2010, je me suis tournée vers le sprint, j’ai obtenu de bons résultats, dont un titre de vice-championne d’Europe sur le 500 derrière Erika Zanetti… J’étais plutôt bonne mais je savais qu’au niveau mondial, ça allait être plus compliqué. La marche était vraiment haute. Puis en 2013, je me suis blessée à l’adducteur (pubalgie), et je ne pouvais plus faire de sprint… Je me suis donc tournée vers le fond. Le gros travail antérieur que j’avais fait en sprint m’a permis d’avoir des capacités importantes qui ont été complétées par un gros travail d’endurance. Au fur et à mesure, en voyant mes résultats sur le fond, je me suis peu à peu spécialisée. Car pour atteindre le niveau mondial, il ne faut pas s’éparpiller et savoir ce que l’on vise. Pour ma part, c’était le fond, les courses à points route notamment. Mais ma course favorite, de cœur, restera toujours le 1000m… J’ai toujours su que j’étais faite pour ça. C’est un effort que j’aime particulièrement : le lactique dans les jambes, le mal de cannes, la douleur que l’on doit surpasser pour trouver la force de tenir 5 tours et sprinter… C’est magique, et c’est vraiment la distance que j’affectionnais le plus.

 

 

 

Tu as certainement beaucoup de souvenirs à partager à propos de ta carrière dans les marathons également…

J’ai en effet gagné ou obtenu pas mal de médailles sur les marathons. C’est une distance qui me va bien avec un sprint souvent long à la fin… Les meilleurs souvenirs sont bien sur ma médaille au marathon au championnat du monde, mais aussi le marathon de Punta la Reina, le plus difficile mais le plus beau à mes yeux ! Ce marathon est dur, avec des cols et de grandes descentes. J’adorais le mal de jambes dans les montées, et les sensations de vitesse dans les descentes, le tout dans un paysage vraiment sympa. J’ai aussi de beaux souvenirs sur mes victoires à Dijon, au terme de sprints longs. L’arrivée sur cette grande avenue est quelque chose de vraiment marquant.

 

 

 

 

 

Témoignages : 

Marine Lefeuvre (France), membre du collectif France, médaillée mondiale, multi-médaillée au niveau national et européen

« Clémence était quelqu’un de très respectueuse pendant les courses, de bon conseil, quelqu’un de rassurante lorsque je stressais sur les courses mondiales. Je sais que j’ai eu la meilleure intégration que je pouvais espérer. Ce n’est pas facile de voir des jeunes arriver et un peu bousculer les plus grands. Son expérience internationale depuis tant d’années et sa régularité l’ont rendue très appliquée, même si la patience pour la préparation des ongles pour être pimpante pour commencer les championnats reste encore un défi pour elle (haha). J’aurais aimé faire encore un bout de chemin avec elle, mais la roue tourne comme on dit. Je lui souhaite tout le bonheur dans sa nouvelle vie qui va démarrer d’ici quelques mois. Et je ne garde avec moi que des bons souvenirs et une belle adversité française. Une grande patineuse. Alors MERCI Clémence ! »

 

Martin Ferrié (France), membre du collectif France et multi-médaillé aux championnats de France et d’Europe, champion du monde Junior

« Pour ma part, Clémence est une patineuse de très haut niveau avec beaucoup de qualités comme la persévérance, la régularité… En plus de ça, je me souviens des parties de cartes lors des mondiaux pour passer le temps, s’amuser… J’ai pu « apprendre » le tarot en jouant avec Clémence et les plus âgés de l’équipe de France (LOL). Sur l’aspect sportif, elle a toujours été de bon conseil grâce à son expérience ! Elle peut être fière de sa carrière de sportive de haut niveau ! C’est une grande patineuse. Elle fera rêver certainement beaucoup de jeunes. Maintenant, j’espère qu’elle s’épanouira dans sa nouvelle vie. J’espère à bientôt Clémence ! »

 

Flavie Ballandras (France), membre du collectif France, championne de France et vainqueure du marathon de Paris

« J’ai côtoyé Clémence davantage à partir de 2015 lorsque j’ai repris le roller après deux années de classe prépa. Après d’innombrables médailles à l’échelle nationale et des podiums européens, Clémence a ouvert une nouvelle ère pour les patineuses françaises en allant chercher une première médaille mondiale après dix ans de disette, en 2015 à Kaohsiung. Je me revois regarder la course en streaming sur mon ordinateur, assise dans un amphi de mon école d’ingénieur. Son attaque pour revenir sur les deux patineuses échappées alors qu’il pleuvait des cordes est encore gravée dans ma mémoire. Comme j’ai commencé le roller en 2006, je n’avais jamais vu de Française médaillée au championnat du monde en senior. J’ai réalisé ce jour-là qu’avec beaucoup d’entraînement et de persévérance, il est possible de faire basculer la hiérarchie mondiale. Ce fut un réel honneur pour moi d’être sa coéquipière en 2016 lors des championnats d’Europe à Heerde aux Pays-Bas pour ma toute première sélection en équipe de France. Je reste admirative de sa détermination sans faille pour atteindre ses objectifs malgré un début de saison compliqué cette année-là. Un grand merci Clémence de nous avoir fait rêver, moi et bien d’autres, à travers ta carrière dans le roller. Tu m’as aidée à croire en mes capacités tout en me donnant une multitude de conseils pour me faire progresser. Je garde aussi de très bons souvenirs des stages à Rennes, des « after-party » à Oropesa et de tous les petits moments partagés ensemble durant les compétitions. Je te souhaite de profiter de ce nouveau chapitre qui s’ouvre. J’espère qu’on se croisera de temps en temps autour des pistes ou ailleurs. »

 

Maëlann Le Roux (France), ex-membre du collectif France, partenaire de Clémence au Pôle de Talence et au sein de l’équipe Bont, double vainqueure de la World Cup de Rennes sur Roulettes

« Que ce soit en tant que patineuse ou en tant que personne, Clémence reste un réel exemple pour moi et certainement pour beaucoup d’autres aussi. J’ai eu le plaisir de courir à ses côtés, sous les couleurs de l’Équipe de France et celles de notre sponsor Bont, et je n’ai jamais cessé d’apprendre. Elle m’aura permis de voir les entraînements sous un nouvel angle et de réaliser quelques-uns de mes meilleurs résultats. C’est une passionnée, une athlète minutieuse qui aime partager son expérience et ses connaissances. Toujours volontaire pour donner des conseils et aider les plus jeunes, c’est aussi une grande fan de 1000m, prête à aller à l’autre bout du monde pour se perfectionner sur piste. Et malgré des chutes traumatisantes, elle n’a jamais abandonné. Il y a aussi eu des doutes, des peurs, mais surtout de la motivation, de l’investissement et une énorme volonté. En plus de cela, c’est une patineuse qui a su mener de front son double projet tout en décrochant d’incroyables résultats sportifs, dont des médailles mondiales. Je dirais tout simplement que Clémence aura marqué le monde du roller par ses résultats, mais aussi par sa gentillesse et sa générosité. Une athlète au grand cœur dont je suis fière d’avoir été la coéquipière. »