A L’Est, rien de nouveau ? Loin de là… Le roller de vitesse se développe à toute allure dans le quart Nord-Est de la France. Nous sommes allés à la rencontre de deux patineuses du club de Bischheim Strasbourg Skating (BSS) qui vont hisser haut les couleurs de l’équipe de France dans les semaines qui viennent : Stéphanie Goetschy (en Master) et Violette Braun (en Junior B). Elles ne portent pas le même nom de famille, mais un lien filial les unit cependant – en plus de la passion pour la vitesse ! Laissons tout d’abord la parole à Stéphanie, avant qu’elle ne passe le relais à sa fille…
Interview avec Stéphanie Goetschy
« Pour performer en Master, il faut une sacrée organisation ! »
Bonjour Stéphanie. Et tout d’abord, félicitations pour ton fantastique début de saison !
Bonjour et merci. Cette année, j’ai conservé mon titre de championne de France sur marathon à Tréveneuc (je suis deuxième au scratch derrière Karine Urvoy-Malle, qui reste vraiment impressionnante !). Et au championnat de France route à Alençon, j’ai gagné le 1000m, le 3000m à points et je termine deuxième sur 5000m derrière Aurélie Frégona. Je suis particulièrement contente du 3000m à points, parce que c’est un type d’effort qui ne me correspond pas forcément et j’ai vraiment travaillé pour y arriver. Le championnat de France marathon et le championnat de France route étaient mes deux gros objectifs nationaux de l’année. Et j’ai effectivement dû m’entraîner sur plusieurs tableaux pour parvenir à concilier ces deux objectifs. Entre un 1000m, un 3000m à points et un marathon, la préparation n’est pas la même donc il a fallu faire des choix permettant de tout préparer. Et ça demande pas mal de temps. Cela fait maintenant quatre ans que j’ai vraiment repris l’entraînement (depuis la saison 2019), et j’ai progressivement augmenté mon volume de travail. Je m’entraine globalement entre 4 et 5 fois par semaine. Il faut concilier un travail à plein temps, les enfants, et les contraintes liées au niveau de Violette [NDLR Violette Braun, voir plus bas] qui demande beaucoup de temps et d’énergie ! C’est aussi un moteur d’avoir parfois la possibilité de rouler en roller ou à vélo avec ma fille. Finalement, elle me pousse à progresser encore ! Mais si certaines contraintes sont conciliables, d’autres ne le sont malheureusement pas. Bref, cela demande une sacrée organisation, beaucoup d’anticipation au quotidien et souvent du temps volé pour caler un entraînement !
Tout cela débouche naturellement sur une sélection en équipe de France Master. Quels sont tes prochains objectifs ?
Naturellement, je ne sais pas… Mais oui, je visais la sélection cette année, d’autant que les championnats d’Europe se déroulent relativement près de chez moi (à Mittelland en Suisse). Je n’ai pas d’autre objectif. Il y aura les championnats du monde, mais je n’ai pas la capacité financière de m’y rendre. Je rappelle que les Masters, en dehors de l’inscription, ont tous les frais à leur propre charge.
« Les patineurs de l’Est ne sont jamais blasés ! »
Tu viens du Grand Est, une région qui est en plein développement dans le roller de vitesse…
Nous pouvons effectivement dire que le roller, notamment la course, se développe dans le Grand Est. Les clubs de course se sont créés au fur et à mesure à partir de la fin des années 90. Certains sont plutôt axés sur les longues distances et les randonnées, d’autres apparaissent de plus en plus sur les courses sur piste et sur circuit routier. Et le BSS (Bischheim Strasbourg Skating) fait partie des clubs qui ont une section course avec des patineurs qui évoluent à présent sur les pistes et les circuits routiers au niveau national. Il s’est créé en 2005, avec au départ sept licenciés, et surtout sans enfant et sans section initiation pendant trois ans. C’est en 2008 que les premiers enfants sont arrivés et que la section initiation s’est créée, puis l’école de course un peu plus tard.
Peu se rendent compte dans quelles conditions nous nous entrainons. Et si le niveau monte dans l’Est, nous n’avons encore pratiquement aucune infrastructure. Il y a à présent une piste à côté de Reims, mais la région Grand Est est grande et cela représente 3h30 de route pour nous y rendre.
Bref, pour s’entrainer chez nous, il faut pas mal d’imagination et surtout un mental d’acier. Nous avons heureusement quelques créneaux en gymnase (à savoir que les nombreuses fuites de leurs toits nous empêchent parfois d’y rouler lorsqu’il pleut), mais nous roulons aussi beaucoup sur route ouverte, sur une espèce de piste pleine de fissures sur laquelle nous ne pouvons pas rouler trop vite sinon gare aux chutes et aux sorties de route. Nous roulons sur des parkings, dans des zones industrielles. On se doit de se renouveler régulièrement parce que les terrains s’usent vite en Alsace. Les conditions météorologiques sont également faites pour forger le mental des patineurs : froid en hiver et fortes chaleurs en été ! Nous avons heureusement la chance de pouvoir faire deux ou trois stages par an à Geisingen en Allemagne (la piste la plus proche, à 2h de route).
Je pense que notre force dans l’Est, c’est l’envie de rouler, d’arriver à rivaliser avec les autres Français. Les patineurs de l’Est ne sont jamais blasés : lorsqu’ils arrivent sur une piste ou un circuit routier, ils ne pensent pas que ce n’est pas comme les lieux où ils ont l’habitude de pratiquer. Ils sont toujours hyper contents de trouver une « vraie » structure dédiée au roller et se demandent de suite comment ils vont pouvoir rouler dessus. C’est peut-être cela notre force, une capacité à s’adapter rapidement et une façon de rouler peu commune aux autres régions. Mais bien sûr, il nous manque cruellement une infrastructure permettant un travail technique, de trajectoires, de stratégies à grande vitesse… Lorsqu’on voit par exemple le club de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, depuis qu’ils ont leur piste, le niveau ne cesse de monter et le très bon travail effectué par Raynald [Quetier] et Julien [Levrard] paye ! Nous militons chaque année auprès des communes et des regroupements de communes pour enfin y parvenir. Mais c’est visiblement une question politique plus que sportive malheureusement…
« La possibilité de rouler en D2 est une vraie opportunité ! »
Tu es très impliquée dans les courses fédérales, les championnats traditionnels. Tu as aussi participé au championnat de France piste. Est-ce important pour toi ?
Au niveau national et surtout international, en catégorie Masters, on n’a pas vraiment le choix : on fait du marathon ou des courses d’endurance… Surtout lorsqu’on a commencé tard comme moi (j’ai démarré à 22 ans avec pas mal d’interruptions pour les études et les enfants). J’ai découvert sur le tard les pistes et les circuits routiers : j’ai fait ma première course sur piste à 28 ans ! Mais j’ai tout de suite adoré. C’est beaucoup plus ludique et intéressant d’un point de vue stratégique ! Les marathons, c’est long et parfois ennuyeux… J’en fais assez peu d’ailleurs !
Alors depuis que j’ai repris les entraînements, j’ai décidé de me faire plaisir, sans complexe ou presque (en chambre d’appel, ou lorsque je vois les dates de naissance des autres patineuses sur la liste de départ) ! Les jeunes du club me poussent à me dépasser et les courses sur piste et sur circuit me sortent également de ma zone de confort. Ça m’aide à continuer à progresser, et même si je ne suis pas du tout à l’aise techniquement, je me sers d’autres atouts pour parvenir à me faire plaisir. J’avoue que la possibilité de rouler en D2 est une vraie opportunité. Cette année, j’ai aussi participé aux championnats de France piste à Saint-Pierre-lès-Elbeuf pour faire un peu de rythme dans une période un peu creuse pour moi avant le championnat d’Europe Master. Je regrette vraiment qu’il n’y ait pas plus de Masters qui reviennent sur les pistes. Les autres patineuses Masters ont, pour la plupart, commencé jeunes et c’est un terrain qu’elles maitrisent bien, contrairement à moi qui suis en lutte perpétuelle avec moi-même ! Mais je vais avoir 45 ans à la fin de l’année et je ne sais pas encore combien de temps je vais arriver à tenir le rythme des jeunes.
Merci Stéphanie pour cette enthousiasme et cette lucidité. Nous te souhaitons un bon championnat d’Europe Master, ainsi qu’à toute l’équipe de France !
Interview avec Violette Braun
« Je suis tellement heureuse de participe au championnat d’Europe ! »
Bonjour Violette. Félicitations pour ta sélection en équipe de France !
Bonjour et merci beaucoup! C’est vrai que cette sélection me fait vraiment très plaisir car je ne l’avais pas imaginée en début d’année. Je ne m’étais pas fixé de réels objectifs pour cette année même si j’espérais bien sûr pouvoir réitérer cette incroyable expérience [NDLR Violette avait déjà été sélectionnée l’année dernière]. C’est vraiment incroyable de pouvoir rouler sous les couleurs de mon pays et de pouvoir le représenter aux championnats d’Europe.
Cette année a vraiment été très compliquée pour moi. En effet, même si la saison extérieure s’est très bien déroulée, mon début d’année a été plutôt chaotique. J’ai eu un petit problème de santé qui a entrainé pas mal de blessures perturbant mon entrainement. J’ai même été arrêtée un court moment pour permettre à mon corps de se régénérer. Avec tout ça, je n’ai vraiment commencé ma saison de compétitions qu’en mars avec la nationale de Château-Gontier. Cette course a véritablement été un gros tournant dans ma façon de penser : lors de cette compétition, j’ai réalisé que tout restait possible ! La saison a vraiment débuté avec ce déblocage mental et j’ai pu enchainer les diverses courses du calendrier.
Cette année, j’ai pu faire cinq médailles en championnats de France : deux au France route d’Alençon avec une seconde place sur le 10km à élimination et un titre sur la course à points. J’ai obtenu mes trois autres médailles lors du championnat de France piste à Saint-Pierre-lès-Elbeuf, trois couleurs différentes : bronze sur le 1000m, argent sur l’élimination et or sur les points.
Quelles sont tes conditions d’entrainement et de préparation ?
Mes conditions d’entrainement sont très différentes par rapport à ceux qui pratiquent dans l’Ouest de la France. Il n’y a aucune piste et aucun circuit routier à moins de deux heures de route. Après, j’y suis habituée et cela ne me pose pas vraiment de problème. C’est vrai que du coup, je suis toujours contente de rouler sur des infrastructures adaptées lorsque je vais dans d’autres régions. Je n’ai pas intégré de pôle d’entraînement par manque de moyen financier, même si c’est véritablement quelque chose que j’aurais aimé faire. Pour les entrainements, je n’ai pas trop de problèmes. J’ai pu intégrer une classe qui travaille avec le CREPS de Strasbourg et qui nous propose des emplois du temps sur mesure. Mes horaires d’entrainement se calent sur ceux des autres pôles.
J’ai appris à connaitre pas mal d’autres sportifs et observer leur façon de s’entraîner est vraiment super intéressant. Depuis cette année, je suis entrainée par Target. C’est Vincent Morvan qui m’envoie les programmes et je suis gérée par Rémi Hubert sur les courses. C’est particulier comme fonctionnement mais ça me convient vraiment bien.
Comme infrastructures, j’ai beaucoup utilisé un anneau du CREPS de Strasbourg, mais il est maintenant en réfection. Je roule un peu en gymnase mais ils sont souvent mal isolés donc il y pleut. J’utilise depuis toute petite un anneau en bitume, mais avec le temps, il s’est beaucoup dégradé, donc il est compliqué de faire quoi que ce soit dessus. Pour toutes mes sorties longues, j’utilise beaucoup les pistes cyclables qui partent dans la campagne .Mais même si elles sont bien entretenues, elles sont très dangereuses du fait des autres usagers. Sinon, je roule sur des parkings.
C’est ce qu’on appelle du bricolage !
« Je ne me pose pas de limites en terme d’objectifs ! »
Quels sont tes objectifs à court terme, notamment dans la perspective des championnats d’Europe à L’Aquila ?
Je crois que ça n’est pas encore très clair dans ma tête. Je suis déjà tellement heureuse de participer à cet événement sous les couleurs de la France ! Je ne me pose pas vraiment de limites avec des objectifs fixes. Je pense que je me gâcherais ce moment magique en me mettant une énorme pression que j’ai toujours du mal à gérer. Ce ne serait bénéfique pour personne.
Pour moi, le sport, c’est du plaisir avant tout. Si je fais du roller de vitesse, c’est toujours parce que j’aime cette sensation qu’on ne peut retrouver que sur les roulettes. Je pense que ce plaisir, c’est mon moteur et ma motivation, mais ça reste avant tout mon objectif. Ça l’a été sur toutes mes courses précédentes et ça le restera sur ces championnats, même si les enjeux ne sont plus les mêmes ! Mon objectif principal à l’occasion du championnat d’Europe, mais aussi de toutes les courses à venir, c’est de prendre le plus de plaisir possible pour revenir encore plus déterminée !
Merci beaucoup Violette et bonne chance pour la suite, notamment pour le championnat d’Europe !
Vincent Esnault
Photos : Cécile Vincent et Olivier Lemaître